Saint Ignace Briantchannov (1807-1867)

            (Traduction par l’archimandrite starets Syméon, Texte original en russe)

 

Deux disciples bien-aimés du Seigneur Lui demandèrent des trônes de gloire. Il leur donna sa Coupe (Mathieu 20, 23).

La Coupe du Christ, c'est la souffrance.

La Coupe du Christ permet à ceux qui y communient de participer sur terre au Règne béni du Christ, et leur prépare dans les Cieux les trônes de la gloire éternelle.

Tous, nous sommes sans réplique devant la Coupe du Christ ; personne ne peut se plaindre ou la refuser, car Celui qui nous commanda d'y goûter l'a bue Lui-même le premier.

Ô arbre de la connaissance du bien et du mal ! Au paradis tu as tué nos premiers parents ; tu les as leurrés par le charme des jouissances sensuelles et par les illusions de sa sagesse. Rédempteur des hommes déchus, le Christ apporta sur terre sa Coupe de salut à ceux qui étaient tombés et avaient été exilés du paradis. L'amertume de cette Coupe purifie le cœur de la coupable, de la funeste jouissance du péché ; l'humilité qui découle d'elle -de cette Coupe- détruit l'orgueilleuse sagesse de la chair. Celui qui la boit avec foi et patience, reçoit de nouveau la vie éternelle qui nous fut enlevée -et elle est encore- parce que nous avons mangé du fruit défendu.

« Je prendrai » la Coupe du Christ, « La Coupe du salut » (Psaume 115,4). Un chrétien prend cette Coupe lorsqu'il supporte les afflictions terrestres avec l'humilité puisée dans l'évangile.

Saint Pierre se précipita avec une épée nue au secours du Dieu-homme entouré de malfaiteurs, mais le très doux Seigneur dit à Pierre : « Rentre le glaive dans le fourreau. La Coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai je pas ? (Jean 18,11).

Toi aussi, lorsque les tribulations t'assailliront, dis-toi pour consoler et fortifier ton âme : « La Coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? »

Elle est amère, cette Coupe ! Au premier regard jeté sur elle, tous les raisonnements humains s'effondrent. Remplace les raisonnements par la foi, et bois courageusement cette Coupe d'amertume : c'est le Père qui, dans sa bonté et sa sagesse te la donne.

Ce ne sont ni les Pharisiens, ni Caïphe, ni Judas qu'ils l'ont préparée, et ce n'est pas Pilate et ses soldats qui la donnent ! « La Coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? »

Les Pharisiens trament de noirs desseins ; Judas trahit ; Pilate ordonne le meurtre inique, et ce sont les soldats du gouverneur qui l'exécutent. Tous, ils se sont préparés une perte assurée par leurs méfaits ; quant à toi, ne te prépare pas une perdition tout aussi assurée par ta rancune, par ton désir et tes rêves de vengeance, par ton indignation contre tes ennemis.

Le Père céleste est tout-puissant et omniscient. Il voit ton affliction, et s'Il trouvait qu'il est nécessaire et utile de la détourner de toi, Il le ferait assurément.

L'Ecriture et l'histoire de l'Eglise témoignent que le Seigneur a dans de nombreux cas permis que les afflictions frappent ceux qu'Il aime ; et dans de nombreux cas, Il les a écartés d'eux, en accord avec ses insondables jugements.

Lorsque la Coupe paraîtra devant toi, ne regarde pas les hommes qui te la présentent, élève ton regard vers le Ciel et dit : « La Coupe que m'a donnée le Père, ne la boirai je pas ? »

« Je prendrai la Coupe du salut. » Je ne peux pas repousser cette Coupe, gage des biens célestes, éternels. L’apôtre du Christ m'enseigne la patience lorsqu'il dit : « Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu » (Actes 14,22). Comment rejetterais-je la Coupe, moyen pour parvenir à ce Royaume et le faire croître en moi ? Je prendrai la Coupe, elle est un don de Dieu.

La Coupe du Christ est un don de Dieu. « Il vous a été donné », écrit le grand apôtre Paul aux Philippiens, « non pas seulement de croire au Christ, mais encore de souffrir pour Lui » (Philippiens 1,29).

Tu reçois la Coupe apparemment de la main des hommes. Que t'importe que ces hommes agissent avec justice ou au contraire injustement ? Ton affaire à toi, c'est d'agir avec justice, conformément au devoir d'un disciple de Jésus : prendre la Coupe avec reconnaissance pour Dieu, avec une foi vivante, et la boire courageusement, jusqu'au bout.

Lorsque tu reçois la Coupe de la main des hommes, souviens-toi qu'elle est la Coupe non seulement de l'Innocent, mais encore du Très-Saint. Te souvenant de cela, répète à ton propre sujet et au sujet des autres pécheurs qui souffrent comme toi les paroles que le bienheureux et sage larron prononça lorsqu'il fut crucifié à la droite du Dieu-homme en croix : « Pour nous c’est justice, nous payons nos actes (…) Souviens-toi de moi Seigneur lorsque tu viendras dans ton Royaume » (Luc 23, 41- 42).

Ensuite, tourne toi vers les hommes et dis-leur : «  Bienheureux êtes-vous, vous qui êtes les instruments de la justice et de la miséricorde divines, oui, bienheureux dès maintenant et à jamais. » Toutefois, s'ils ne sont pas en état de comprendre et d'accepter tes paroles, ne jette pas les perles précieuses de l'humilité sous les pieds de ceux qui ne peuvent les apprécier, et dit ces paroles uniquement en pensée et dans ton cœur.

Ainsi seulement tu accompliras le commandement de l'Evangile qui dit : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous persécutent » (Matthieu 5, 44).

Prie le Seigneur pour ceux qui t'ont offensé et outragé ; demande Lui que ce qu'ils t'ont fait leur soit rendu en récompenses temporelles et éternelles, et qu'au jugement du Christ cela leur soit compté comme un bienfait.

Même si ton cœur ne veut pas agir ainsi, contrains-le : seuls, en effet, ceux qui font violence à leur cœur pour accomplir les commandements de l'Evangile peuvent hériter le Ciel (cf. Mathieu 11,12).

Si tu n'as pas la volonté d'agir de la sorte, c'est que tu ne veux pas vraiment être disciple du Seigneur Jésus-Christ. Rentre attentivement en toi-même et examine-toi : n’aurais-tu pas trouvé un autre maître, ne te serais-tu pas soumis à lui ? Or le maître de la haine, c'est le diable.

C'est une terrible transgression que d'offenser ou de persécuter son prochain : Le crime le plus terrible, c'est de commettre un meurtre. Mais celui qui hait son persécuteur, son calomniateur, son délateur, son assassin et qui nourrit en lui de la rancune contre eux et se venge d'eux commet un péché très proche du leur. C'est en vain qu'il se présente à lui-même et aux autres comme un juste. « Quiconque hait son frère est un homicide » (I Jean 3,15) proclame le disciple bien-aimé du Christ.

Une foi vivante dans le Christ enseigne à recevoir la Coupe du Christ ; or, la Coupe du Christ inspire de l'espérance dans le cœur de ceux qui y communient, et l'espérance dans le Christ donne au cœur force et consolation.

Quel tourment - quel infernal tourment - que de se plaindre, de murmurer contre la Coupe prédestinée d'En Haut !

Le murmure, l'impatience, la pusillanimité, et singulièrement le désespoir, sont des péchés devant Dieu, -  ils sont les horribles rejetons de l'incrédulité pécheresse. C'est un péché que de murmurer contre son prochain quand il est l'instrument de nos souffrances ; mais c'est un péché plus grand encore, quand la Coupe descend vers nous directement du ciel, de la droite de Dieu.

Celui qui boit la Coupe en rendant grâces à Dieu et en bénissant son prochain est parvenu au repos sacré, à la bienheureuse paix du Christ : maintenant déjà, il jouit du paradis spirituel de Dieu.

Les souffrances temporelles ne signifient rien en elles-mêmes : nous leur attribuons de l’importance à cause de notre attachement à la terre et à tout ce qui est corruptible, et en raison de notre indifférence pour le Christ et l'éternité.

Tu es prêt à supporter l'amertume et le goût désagréable des médicaments ; tu supportes la douloureuse amputation et cautérisation de tes membres ; tu supportes les tourments prolongés de la faim, la longue réclusion dans ta chambre ; tu supportes tout cela afin de restaurer la santé perdue de ton corps qui, une fois guéri, redeviendra sans aucun doute malade, et va assurément mourir et se décomposer. Supporte donc l'amertume de la Coupe du Christ qui procure la guérison et la béatitude éternelle à ton âme immortelle.

Si la Coupe te paraît insupportable, apportant la mort, cela te démasque : bien que tu te dises chrétien, tu n'appartiens pas au Christ.

Pour de vrais disciples, la Coupe du Christ est une coupe de joie. Ainsi après avoir été battu avant de comparaître devant le Conseil des Anciens d'Israël, les apôtres « s'en allèrent du Sanhédrin, tout joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom du Seigneur Jésus » (Acte 5,41)

 

(Article paru dans le numéro 2 de notre revue "Buisson Ardent" )