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L'Esprit compatissant - L'ESPRIT COMPATISSANT
3. L’Esprit compatissant
Le cœur de la spiritualité évagrienne dans laquelle, affirme-t-on, les hypostases divines et « surtout le Saint-Esprit » ne jouent aucun rôle appréciable (Hausherr, 1960, p. 98), est la doctrine de la « prière spirituelle » (pneumatiké proseuché) (Or. 28. 50. 63. 72. 101), appelée autrement aussi « prière véritable » (alêthé proseuché) (Or. 65. 76. 113, cf. 10. 41. 54. 56. 61. 80. 153), parce qu’elle est « prière en Esprit et Vérité » (Or. 59. 60. 77. 146). Le verset Jn 4, 23, dont Hausherr ne tient curieusement aucun compte, est en effet avec Rm 8, 26 un des deux pilastres de la doctrine évagrienne de la prière, qui, par là, révèle son caractère intrinsèquement trinitaire[7]. Si les textes qui s’y rapportent semblent peu nombreux[8], ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait exact, ils ont cependant un poids théologique remarquable. Plutôt que de les compter, il convient donc de les peser, pour paraphraser Évagre (Or. Prol., cf. Or. 151.). En voici un beau passage, du traité Sur les pensées, conçu comme une sorte de complément au traité Sur la prière[9] qui, sans user du terme de « prière spirituelle » (ou véritable), parle cependant de la même réalité.
L’âme qui, avec l’aide de Dieu
a mené à bien la praktiké et qui a été déliée du corps,
parvient dans ces régions de la connaissance
où l’aile de l’impassibilité la fait reposer.
De là elle recevra alors aussi les ailes de cette sainte Colombe
[qui symbolise l’Esprit Saint] (1 in Ps. 56, 2),
et elle volera à travers la contemplation de tous les siècles (i.e. la physiké)
et reposera dans la connaissance de la Trinité adorable (i.e. la theologiké) (M.c. 29, 8-14, traduction modifiée).
Comme il n’est pas rare, Évagre développe la même pensée plus d’une fois. Ces autres versions apportent en général de nouveaux aspects. Tel est aussi le cas dans la scholie suivante, qui glose le verset du Psaume qui est au cœur du texte que nous venons de lire.
Et je disais : Qui me donnera des ailes
comme [celles de la] colombe
et [je m’en]volerais et reposerais ?
Les ailes de la sainte colombe
sont la contemplation des corps et des incorporels,
grâce à laquelle l’intellect est “élevé”
et se repose dans la contemplation de la Trinité sainte (2 in Ps. 54, 7).
L’intellect ne « s’élève » donc pas par ses propres forces, puisque les « ailes » qui lui permettent de « s’envoler » ne sont pas les siennes mais celles du Saint-Esprit : il « est élevé » (hypsotheis). Car s’il est en son pouvoir de réaliser la vertu — aidé bien entendu par la grâce de Dieu (12 in Ps. 17, 21) —, il ne dépend pas de lui « d’être jugé digne de la connaissance spirituelle » (3 in Ps. 43, 3). Celle-ci nous parvient en effet « de la grâce de Dieu » (ek charitos theou) (Gn. 4, 45), et il faut en être « jugé digne » (kataxiotheis) par Dieu, comme Évagre le répète inlassablement.
*
Le « chemin bienheureux » (Or. 152) de la prière débouche dans une « montée » (Or. 36, cf. Ex. 24, 1.) vers une « hauteur intelligible » (Or. 53). C’est là que l’intellect contemple d’abord, à l’instar de Moïse et des anciens d’Israël (cf. Ex. 24, 10), le « lieu où se tenaient les pieds de Dieu ». Ce « lieu de Dieu » qu’est en effet l’intellect lui-même (Sk. 23, 25), n’est cependant pas visible par lui-même. Il devient visible grâce à la « lumière de la Trinité sainte » qui « survient » à ce moment (Sk. 4, cf. 27, infra p. XX) et le « marque » (M.c. 40, 7 s.) et le rend de cette façon « visible », c’est-à-dire connaissable. « Voir » signifie en effet, quand il s’agit de l’intellect, « connaître » (cf. in Ps. 68, 29). L’intellect ne se connaît donc lui-même que dans la lumière de la connaissance de Dieu (Ep. Mel. 21), qui l’éclaire ainsi doublement ! Il conviendra de retourner sur cet aspect important de la spiritualité évagrienne.
La « montée » vers la connaissance de Dieu et la connaissance de soi-même présuppose que l’intellect ait atteint le but de la praktiké — la pureté des passions (cf. Or. 4) —, et qu’il ait ensuite dépassé aussi les « représentations mentales » (noomata), même « simples » (Or. 56), liées aux objets de la création (Or. 57, cf. M.c. 40) puisqu’il s’agit là toujours « d’intermédiaires » entre nous et Dieu ! C’est alors seulement que Dieu l’appelle du milieu du « buisson ardent » de son Épiphanie (Pr. 4 ; M.c. 17, 36 s., cf. Ex 3).
Ce but est si sublime qu’il y a tout lieu de désespérer de ne jamais y parvenir. « Nous ne savons pas prier comme il faut », avait déjà dit saint Paul (Rm 8, 26). Mais l’apôtre nous assure aussi que le chrétien n’est pas seul quand il prie ! Nous avons en effet reçu au baptême « l’Esprit d’adoption filiale » et c’est « par lui » (en hô) que nous crions : Abba, Père ! " (Rm 8, 15). Évagre a entièrement fait sien cet enseignement de l’apôtre qui constitue le deuxième pilastre de sa doctrine de la « prière spirituelle ».
Le Saint-Esprit, compatissant à notre “faiblesse” (cf. Rm 8, 26),
nous visite même quand nous sommes encore impurs.
Pourvu seulement qu’il trouve l’intellect Le priant avec amour de la Vérité,
il vient alors sur lui et dissipe toute la phalange des pensées
ou représentations mentales qui l’encerclent,
et le pousse à un amour passionné pour la prière spirituelle. (Or. 63)
Il y a donc de l’espoir ! Ni les « pensées" (logismoi) impures des passions, ni les « représentations », ces résidus mentaux qui « s’impriment » inévitablement dans l’intellect lors de son contact avec les « objets » de la création (cf. M.c. 25 et souvent) dont nous ne réussissons pas à nous débarrasser par nos propres forces, doivent nous empêcher de « prier le Saint-Esprit » (auto proseuchomenon) ! Combien aimerions-nous savoir quelle a bien pu être la prière d’Évagre au Saint-Esprit. Serait-ce le « Roi céleste » qui reflète si bien la pensée exprimée dans le chapitre que nous venons de lire ? Ce n’est pas exclu, puisque cette prière est attribuée peut-être non sans raison[10] à la « colonne de la vérité, Basile de Cappadoce » (1Gn. 45), le premier maître d’Évagre.
Celui qui « prie le Saint-Esprit », « l’Esprit de Vérité » (Jn 14, 17 ; 15, 26 ; 16, 13), doit le faire « philalêthôs », avec amour de la Vérité. Évagre, qui soupèse chaque mot et n’en dit jamais un de façon irréfléchie, fait ici une allusion à peine voilée à l’autre médiateur de la « prière véritable » : le Fils Unique, qu’il identifie souvent en effet, suivant l’apôtre (Jn 14, 16), à la Vérité (Or. 59 [Jn 4, 23] ; 73 in Ps. 118, 160, etc.). On verra au paragraphe suivant quel est le rôle précis du Fils dans ce mouvement existentiel vers Dieu qu’est la prière.
Quand l’Esprit Saint nous a libérés de la phalange des mauvaises pensées ou des représentations mentales, alors il nous « pousse (protrepomenon) à un désir passionné (eis erôta) pour la prière spirituelle ». La « prière véritable » doit en effet être « aimée avec passion » (erôn) (Or. 65) comme la chose la plus désirable et du même « désir (pothos) éternel » qui se porte naturellement sur la « connaissance véritable » (KG 4, 50). Et c’est encore « dans un amour suprême » (erôti akrôtatô) — et donc sans doute non sans l’intervention du Saint-Esprit — que l’« intellect philosophe et spirituel » est ravi[11] sur cette « hauteur intelligible » (Or. 53) dont nous avons déjà parlé. Ici encore les épithètes « philosophos » et « pneumatikos » ne sont nullement purement ornementales. L’adjectif philosophos (« amant de la Sagesse ») fait allusion au Fils, « la Sagesse même » (hê ontôs Sophia) (Ep. fid. 6, 2), c’est-à-dire au Logos qui est, on s’en souvient, l’autre médiateur de la « prière spirituelle » ou « véritable » (cf. Or. 51 et 52), tandis que pneumatikos renvoie à « l’Esprit compatissant » qui « visite » (epiphoitâ) et « remplit » (Mn. 115) celui qui Le prie « avec amour de la Vérité ». Cet état sublime demande, de la part de l’intellect, la plus haute vigilance pour ne pas en être privé juste avant d’y parvenir.
Tiens-toi sur tes gardes,
en préservant ton intellect, au temps de la prière,
des représentations mentales,
pour qu’il tienne ferme dans la tranquillité qui lui est propre,
afin que Celui qui compatit aux “ignorants” (cf. Rm 8, 26) te visite toi aussi
et que tu reçoives alors le don très glorieux de la prière (Or. 70).
Lorsque l’Esprit, compatissant avec notre « ignorance » (ouk oidamen / agnoousi) de la prière « comme il faut », nous libère des mauvaises pensées et des représentations mentales qui l’encerclaient de toute part, l’intellect se trouve d’abord dans un état de « tranquillité » ou de « paix » (cf. Sk. 25, cit. Ps. 75, 3 ; in Ps. 25, 8) « qui lui est propre » (tê oikeiâ êremiâ) parce que le mal et les vices qui le troublent sont ontologiquement « secondaires » (cf. KG I, 39. 40. 41). Cet état est celui de « l’impassibilité » (Sk. 3), symboliquement appelé « hauteur intelligible, semblable au saphir ou à la couleur céleste » (Sk. 2. 4). C’est ainsi en effet que Ex 24, 10 décrit « le lieu où se tenaient les pieds du Dieu d’Israël. Et ce qui était sous ses pieds était comme l’ouvrage d’une plinthe de saphir et comme l’aspect du firmament du ciel par sa pureté » (tê kathariotêti). Cet « état céleste » (M.c. 32, 5 s. ; 39) de l’intellect symbolise donc la « pureté de l’apatheia » (12 in Ps. 17, 21).
La « prière spirituelle » a, comme nous l’avons souligné plus haut, un caractère intrinsèquement trinitaire. Or la « Trinité consubstantielle » (Inst. mon. II, 30), n’étant pas une « Triade numérique » (KG VI, 10-13), est indivisible ; les trois hypostases divines sont en effet co-éternelles (cf. Ep. fid. 2, 4 s.). Le rôle du Saint-Esprit n’est donc pleinement compris que contemplé dans son rapport avec celui du Fils et celui du « Père de tous ».
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L'Esprit compatissant - L'ESPRIT RÉVÉLATEUR
2. L’Esprit révélateur
L’héritage littéraire d’Évagre contient quelques traités sous forme de lettre (Ep. fid. ; Ep. Mel. ; Ep. Eul. ; Ep. Anat. = Pr. Pol.) où il est naturellement porté à développer un ou plusieurs thèmes de façon systématique. Mais le savant moine chérit manifestement le genre littéraire de la sentence (kephalaion) qui lui permet de comprimer sa pensée à l’extrême et de la « coder" pour le plaisir de ceux de ses lecteurs qui sont bien au fait (cf. Pr. Pol. 58-61 ; KG S2, sentence finale !). Ce sont donc les centuries qui ont rendu Évagre célèbre, surtout parmi les moines, est c’est ici qu’il a été imité le plus souvent, aussi bien chez les Grecs que chez les Syriens. Choisissons donc, en guise d’entrée en matière, quelques sentences particulièrement significatives et tâchons de décrypter la pensée d’Évagre à l’aide de leur exégèse. Ici chaque « ton » a été choisi avec soin, car il doit faire résonner dans l’esprit du lecteur toute la gamme de l’octave.
Ne te livre pas au rassasiement du ventre
et ne te remplis pas de sommeil nocturne
Car de cette manière tu deviendras pur
et l’Esprit du Seigneur viendra sur toi ! (Mn. 97).
Cette sentence « aux moines qui vivent dans des monastères [cénobitiques] et des communautés » semi-anachorétiques (synodiai) contient in nuce tout le programme de la vie spirituelle. La base est constituée par la praktiké qui vise à obtenir, par la miséricorde du Christ (Pr. 33) et 1’assistance de l’Esprit Saint (M. c. 7, 3 s. ; 9, 45 s. !), la pureté ou impassibilité (Pr. 81). Celle-ci n’est cependant pas le « terme" de la praktiké, sa finalité ultime qu’est la charité (Pr. 84), qui à son tour est « la porte de la connaissance naturelle (physiké), à laquelle succèdent la theologia et la béatitude ultime" (Pr. Pol. 50 s.) du monde à venir. « Contemplation naturelle », c’est-à-dire connaissance indirecte de Dieu dans le « miroir » des natures créées (Ep. fid. 7, 19 s. ; 7, 39 s. [Sap. 7, 26] ; 12, 38 s. [Sap. 13, 5]), et theologia ou connaissance immédiate (Or. 3) de Dieu lui-même (in Eccl. 1, 2 : G. 2), constituent les deux volets de la vie « contemplative » (theoria). Elles sont donc intimement « entremêlées » (Ep. fid. 12, 35-40) de telle manière que la première conduit naturellement à la seconde (Or. 52 ; KG III, 61), bien qu’en cette vie de façon nullement automatique (2 in Ps 126, 1).
Notre sentence nous dit donc qu’après avoir obtenu la « pureté » (praktiké), « l’Esprit de Dieu viendra sur nous » (Cf. Lc 1, 35 !), car « celui qui par la praktiké “ouvre le cœur” (c’est-à-dire l’intellect) (4 in Ps 15, 9)) aspire 1’Esprit Saint qui lui révèle les mystères de Dieu » (59 in Ps 118, 131 ; cf. Sap. 9, 17).
*
Le langage de la sentence suivante est encore plus codé que celui de la précédente.
Celui qui aime le miel mange son rayon,
et celui qui le recueille sera rempli de l’Esprit ! (Mn. 115).
Ce « miel » nous élève d’emblée au niveau de la connaissance ou contemplation dont il est en effet le symbole biblique (Cf. Ps. 18, 8-11 ; 118, 103).
Si parmi les choses qui se goûtent il n’y en a pas qui soit
plus douce que “le miel et le rayon de miel”
et que la connaissance de Dieu soit dite supérieure à ces choses,
il est évident qu’il n’y a rien de tout ce qui est sur la terre
qui donne du plaisir comme la connaissance de Dieu. (KG III, 64)
Car ce « miel du rocher » — qui est le Christ ! (4 in Ps. 60, 3 et souvent) — avec lequel Dieu « rassasie son peuple » (Cf. Dt 32, 13) et le réjouit, est la contemplation de lui-même ! ( 7 in Ps. 80, 17 ! Cf. 45 in Ps. 118, 103) Or notre sentence parlait de « miel » et de « rayon » (de miel), distinction nullement fortuite puisqu’elle se trouve déjà dans les divines Écritures.
Mange du miel, mon fils,
car son rayon est bon,
afin que ta gorge soit adoucie :
Celui qui tire profit des divines Écritures “mange du miel” ;
celui qui fait sortir les raisons (logoi) des réalités elles-mêmes,
desquelles les ont prises aussi les saints prophètes et apôtres, mange le “rayon”.
Or “manger du miel” est à la portée de quiconque le désire,
manger le “rayon” par contre est à la portée du seul pur. (in Prov. 24, 13 : G. 270 - traduction modifiée)
Évagre distingue donc deux sources de la connaissance : les divines Écritures et les réalités (ou objets, choses : pragmata) dont parlent les Écritures. Celui qui communique ces connaissances est toujours l’Esprit Saint. L’Esprit, car c’est lui qui parle à travers les auteurs humains des Écritures (cf. M. c. 18, 19 s. ; 37, 18 s. ; 43, 5 et souvent), s’exprime souvent par le moyen de symboles. L’exégète doit donc étudier soigneusement les « habitudes » de l’Écriture (in Prov. 1, 9 : G. 7, 3 s. avec commentaire ; 27, 5 : G. 341, 6) pour pouvoir déceler son « sens mystique », c’est-à-dire « caché » qui n’est pas à la portée de tous (in Prov. 23, 1.3 : G. 250 ; cf. Bunge, 1994)), ce qui n’exclut pas que quiconque le désire peut « tirer profit » des Écritures.
En nous proposant « l’ouvrage que façonne avec de la cire l’industrieuse abeille » (Eccl. 9, 3), le sage Salomon nous « suggère la contemplation naturelle à laquelle se trouve aussi mêlée la doctrine (logos) de la Sainte Trinité », s’il est vrai qu’à « l’aide de la beauté des créatures on contemple par analogie l’auteur de leur existence » (Ep. fid. 12, 37 s. [cit. Sap. 13, 5] ; cf. 7 in Ps. 17, 12 fin.). L’exégète dira donc que la « cire » correspond aux réalités mêmes, tandis que le miel qu’elle contient est le symbole de leur contemplation. Et la cire passera, car il est dit : « Le ciel et la terre passeront » (Mt 24, 35). Mais le miel ne passera pas, car « les “raisons” (logoi) du Christ notre Sauveur ne passeront pas non plus... » (in Prov. 6, 8a.b. : G. 72, 5 s.), puisque le Christ poursuit : « mais mes logoi ne passeront pas ! » Précisons cependant que ce qui « passe » selon l’apôtre (1 Cor. 7, 31) n’est point « l’essence » des cieux mais leur « figure » (s’chema) extérieure (14 in Ps. 101, 27), qui est une des qualités de la nature corporelle et matérielle (KG I, 29 ; III, 29).
La « sentence aux moines » dont nous cherchons à décrypter le sens termine par les paroles : « Celui qui recueille [le miel de la connaissance] sera rempli de l’Esprit ». Car c’est lui qui « révèle les mystères de Dieu », comme nous avons vu, et point seulement ceux de la création (physiké) mais aussi ceux de Dieu (theologiké), qui s’y était manifesté de façon indirecte et se rend maintenant accessible « sans aucun intermédiaire" (Or. 3). La « voie bienheureuse » par laquelle l’Esprit nous introduit dans cette intimité avec Dieu-même est le « mode contemplatif de la prière » qui est en effet « pieuse connaissance de la Trinité » (Or. Prol.).
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L'Esprit compatissant - LES BASES THÉOLOGIQUES
1. Les bases théologiques
Selon I. Hausherr, ce serait « surtout le Saint-Esprit » qui ne jouerait chez Évagre aucun rôle appréciable dans la « montée de l’intellect vers Dieu ». S’il en était ainsi, on ne serait même pas en droit de parler d’une « spiritualité » du moine pontique ! Commençons donc par les bases théologiques de celle-ci.
Fidèle au commandement du Ressuscité (Cf. Mt 28, 19), l’Église a toujours baptisé des enfants « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Cf. Ep. fid. 11, 11 s.). Depuis l’âge apostolique, les croyants rendaient donc aussi « gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit » (Basile de Césarée, Spir. & 67 s.), tout en maintenant évidemment qu’il n’y a qu’« un seul Dieu » (1 Cor 8, 6, cf. Ep. fid. 3, 30 s.). Il s’en suit nécessairement qu’« il faut confesser que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu et que le Saint-Esprit est Dieu, comme l’ont enseigné les divines paroles [de l’Écriture] et ceux qui ont de celles-ci une intelligence plus élevée » (Ep. fid. 2, 14 s. ; 3, 36 s.).
À l’époque où Évagre fut, à Constantinople, diacre de Grégoire « le théologien » (379-381), cette confession que l’on considérait donc comme traditionnelle et apostolique, était mise en question par les pneumatomaques, qui accusaient les orthodoxes de « trithéisme » (ibid. 2, 17)) parce qu’ils ajoutaient à la confession de la divinité du Fils, proclamée en 325 à Nicée, celle de l’Esprit. L’accusation était infondée, mais il faut bien admettre que l’habitude peu réfléchie des orthodoxes de parler, à propos des trois hypostases consubstantielles, d’une « différence au point de vue du nombre » bien qu’il n’y ait « pas coupure au point de vue de la substance » (Grégoire de Nazianze, Oratio 29, 2, SC 250, p. 178/179), et même de « compter ensemble » (synarithmein) les hypostases (Id. Oratio 32, 17 s., SC 250, p. 309/309), prêtait le flanc aux insinuations des « dialecticiens" ariens.
Face aux difficultés que la proclamation de la « consubstantialité » du Fils au Père avait créée dans l’Église, parce que le terme homoousios n’était pas d’origine biblique, Basile le Grand avait préféré ne pas parler explicitement de la « consubstantialité » aussi de l’Esprit Saint. Dans son Epistula fidei, que nous avons citée à plusieurs reprises, écrite en 381 à Constantinople et « sous les yeux de Grégoire de Nazianze » pour ainsi dire, Évagre renonce à de tels calculs tactiques. Habilement, il convainc les pneumatomaques d’une erreur grossière puisqu’ils transposent au plan de la Divinité ce qui n’est valable qu’au plan de la créature : la notion du nombre. Dieu est « un" et « unique" — et les hypostases sont « trois", comme il dira peu après (KG VI 10-13) — non point « par le nombre » mais « par nature »[6]. Il s’en suit que « “un” et “unique” est dit dans l’Écriture au sujet de Dieu non point par opposition au Fils ou à l’Esprit Saint, mais contre ceux qui ne sont pas des “dieux” et que l’on appelle faussement ainsi » (Ep. fid. 3, 24 s., cit. Dt 32, 12 ; 1 Rois 7, 4 ; 1 Cor. 8, 5-6. ).
Évagre n’éprouva donc aucune difficulté à confesser explicitement que le Saint-Esprit est « de la même nature que le Père et le Fils » (Ep. fid. 11, 39 s.), autrement dit qu’il est « consubstantiel au Père et au Fils » (ibid. 10, 32, cf. 10, 11. ).
*
Parmi les arguments dont Évagre se sert dans sa démonstration, il y en a un qui nous intéresse ici particulièrement. Au baptême, l’homme est en quelque sorte re-créé. L’apôtre dit en effet : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création » (2 Cor. 5, 17). Le baptême est conféré « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Ep. fid. 11, 9-14). Or, si l’Esprit n’était lui-même qu’un « esclave", c’est-à-dire une créature, comment pourrait-il nous libérer par le baptême de l’esclavage ? Comment pourrait-il nous sanctifier si il n’était pas « saint par essence » et « source de sanctification », mais possédait lui-même sa « sainteté » à l’instar de toute créature, seulement comme une chose acquise (epiktêton) ? (ibid. 10, 6-11). La conclusion est donc inévitable : « Celui qui ne reconnaît pas la divinité du Saint-Esprit ôte toute valeur au baptême » (In Prov. 22, 28 ; G. 249, 6 s.). Mais de la sorte la « vie spirituelle » aussi est privée de tout fondement ontologique !
*
Voici pour la théologie au sens dogmatique. Voyons maintenant ce qu’il en est du rôle du Saint-Esprit dans la theologia. Il ne sera pas nécessaire d’inventorier tous les textes, assez nombreux d’ailleurs. Il suffira d’en dégager les lignes fortes qui nous fourniront une clef de lecture de toute son œuvre.
LE REPENTIR SELON LE PÈRE SOPHRONY - Toutes les pages
Sur le repentir, voir aussi : |
St Silouane : Sur le repentir |
Le repentir est un don sans prix fait à l’humanité. Le repentir est le miracle divin qui nous rétablit après que nous sommes tombés. Le repentir est l’effusion sur nous de l’inspiration divine, grâce à laquelle nous nous élevons vers Dieu, notre Père, pour vivre éternellement dans la Lumière de son amour. C’est par le repentir que s’accomplit notre déification. Cet événement est d’une inconcevable grandeur. Et ce don fut rendu possible par la prière du Christ à Gethsémani, pas sa mort sur le Golgotha et par sa résurrection. (Voir Dieu tel qu’Il est, p. 36).
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