Saint Macaire d'Egypte
25ème homélie spirituelle
4. Nous n'avons pas encore reçu l’allégresse du salut du Christ. Car l'aiguillon de la mort reste encore fiché en nous. Nous n`avons pas encore revêtu l’homme nouveau créé selon Dieu dans la sainteté, nous n'avons pas encore dépouillé le vieil homme que les convoitises trompeuses mènent à la corruption (cf. Eph., 4, 24,22). Nous ne portons pas encore en nous l’image du céleste (cf. 1 Cor. 15, 49), nous ne sommes pas encore conformes à sa gloire (cf. Rom., 8, 29 ; Phil., 3, 21). Nous n’adorons pas encore Dieu en esprit et en vérité
(cf- In, 4, 24). Car le péché règne encore dans notre corps mortel (cf. Rom., 6, 12), nous n'avons pas encore contemple la gloire de ce qui est incorruptible. En effet, nous sommes encore sous l’influence de la nuit obscure, nous n’avons pas encore endossé les armes de la lumière (Rom., 13, 12), puisque nous ne nous sommes pas encore dépouillés des armes, des flèches et des œuvres des ténèbres. Nous ne sommes pas encore transformés par le renouvellement de l’intellect (cf. Rom., 12, 2), car nous sommes encore conformes au modèle de ce monde (cf. Eph., 4, 17) par la vanité de nos préoccupations. Nous ne sommes pas encore glorifiés avec le Christ, parce que nous n'avons pas encore souffert avec lui (cf. Rom., 8, 17). Nous ne portons pas encore sur notre corps ses stigmates (cf. Gal., 6, 17) en étant entrés dans le mystère de la croix du Christ. Car nous vivons encore parmi les passions chamelles et les convoitises. Nous ne sommes pas encore héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (cf. Rom., 8, 17). Il reste encore en nous l'esprit de servitude, et non celui de l’adoption (cf. Rom., 8, 15). Nous ne sommes pas encore devenus des temples de Dieu et des demeures du Saint-Esprit (cf. 1 Cor., 3, 16), et nous sommes encore au contraire des temples des idoles et des réceptacles des esprits malins, à cause de l'ardeur avec laquelle nous nous portons vers les passions.
5. En effet, en vérité, nous n'avons pas encore atteint la simplicité de la conduite ni l’illumination de l’intelligence. Nous ne sommes pas jugés dignes du lait spirituel et sans mélange (cf. 1 Pierre, 2, 2), ni de la croissance de l’intellect. Le jour n’a pas encore brillé pour nous, et l'étoile du matin ne s'est pas encore levée dans nos cœurs (cf. 2 Pierre, 1, 19). Nous ne sommes pas encore mêlés au Soleil de justice ni rendus éblouissants de ses rayons. Nous n'avons pas encore reçu la ressemblance avec le Seigneur et ne sommes pas devenus participants de la nature divine (2 Pierre, 1, 4). Nous ne sommes pas devenus une authentique pourpre royale, ni une image de Dieu non falsifiée. Nous ne sommes pas blessés de l’amour divin, ni transpercés par l'amour spirituel envers l’Epoux. Nous n’avons pas connu la communion ineffable ni la force et la paix de la sanctification. Pour tout dire en bref, nous ne sommes pas encore une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis (1 Pierre, 2, 9), mais nous sommes encore des serpents et une race de vipères (cf. Mt., 23, 33).
6. Comment ne serions-nous pas encore des serpents, nous qui ne sommes pas dans l’obéissance envers Dieu, mais dans la désobéissance venue par le serpent ? C’est pourquoi je ne sais comment trouver des accents convenables pour déplorer mon malheur, ni comment supplier avec des larmes Celui qui peut chasser l'erreur installée en moi. Comment chanterai-je le cantique du Seigneur sur une terre étrangère (Ps., 136, 4) ? Comment me lamenterai-je sur Jérusalem ? Comment échapperai-je à la misérable servitude de Pharaon ? Comment quitterai-je ce séjour honteux ? Comment fuirai-je cette tyrannie cruelle ? Comment sortirai-je de la terre d’Égypte ? Comment passerai-je la Mer Rouge ? Comment franchirai-je le grand désert ? Comment ne mourrai-je pas de la morsure des serpents ? Comment vaincrai-je les peuples étrangers ? Comment anéantirai-je les nations qui sont en moi ? Comment recevrai-je sur mes tables les paroles de la loi divine ? Comment verrai-je la vraie colonne de lumière et la colonne de nuée du Saint-Esprit ? Comment goûterai-je la manne des délices éternelles ? Comment boirai-je de l'eau jaillie du rocher vivifiant ? Comment franchirai-je le Jourdain pour entrer dans la bonne terre de la promesse ? Comment verrai-je le chef suprême des armées du Seigneur, à la vue duquel Josué , fils de Navé , se jeta aussitôt à terre pour l’adorer ?
7. En effet, si je n'ai pas passé à travers tout cela, si je n’ai pas détruit en moi les nations, je ne pénètrerai jamais dans le sanctuaire de Dieu pour y trouver le repos, jamais je ne participerai à la gloire du Roi. Efforce-toi donc de devenir un enfant de Dieu sans reproche et d'entrer dans ce repos dans lequel le Christ est entré pour nous en précurseur (cf. Hébr., 4, 11 et 6, 20). Efforce-toi d’être inscrit dans l’Eglise des cieux, parmi les premiers-nés (cf. Hébr., 12, 23), pour te trouver à la droite de la majesté du Très-Haut (Hébr., 1, 3). Efforce-toi d'entrer dans la Ville sainte, dans la Jérusalem d’en haut, la cité de la paix, où se trouve le paradis. Pour être jugé digne de ces exemplaires merveilleux et béatifiants, il n'existe pas d’autre moyen que de verser des lamies jour et nuit, comme le dit le Psalmiste : «Chaque nuit je baigne ma couche, de mes larmes j'inonde mon lit» (Ps. 6 , 7). Tu n'ignores pas en effet que «ceux qui sèment dans les larmes moissonnent dans l’allégresse (Ps. , 125, 5). Voilà pourquoi le Prophète dit avec assurance : «Prête l'oreille à mes larmes›› (Ps., 38, 13), et ailleurs : «Tu as placé mes larmes sous ton regard, selon ta promesse» (Ps., 5 5, 9) ; et encore : «Mes larmes ont été mon pain jour et nuit» (Ps., 41, 4) ; et dans un autre psaume : «Je mêle mes larmes à ma boisson (Ps.,l01, 10).
8. En effet, les larmes qui jaillissent vraiment d`une grande affliction et d’un cœur angoisse (cf. 2 Cor., 2, 4), dans la connaissance de la vérité accompagnée d*une ardeur intérieure, sont une nourriture de l'âme, fournie par ce pain céleste qui fut donné en partage à Marie, selon le témoignage même du Seigneur, quand elle fut assise en larmes à ses pieds. Car il lui dit : «Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée» (lc, 10, 38, 42). Oh ! Quelles perles précieuses que le flot de ces bienheureuses larmes ! Quelle docilité et quel empressement à écouter ! Quel courage et quelle sagesse ! Quelle vivacité de l’esprit, inspirant un amour passionné envers l'Epoux immaculé ! Quel désir brûlant de l’ãme envers le Dieu-Verbe ! Quelle communion étroite entre l'épouse et 1'Epoux céleste !
9. Imite cette femme, comme un enfant, imite celle qui n’avait plus de regard que pour Celui qui a dit : «Je suis venu apporter le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu’il brûle» (Lc, 12, 49). 11 s’agit là de l’ardeur de 1'Esprit, qui ranime la flamme dans les cœurs. Voilà pourquoi ce feu immatériel et divin illumine les âmes et a coutume de les éprouver comme l’or pur dans la fournaise (cf. Prov., 17, 3), tandis qu'il consume le mal comme les épines ou le chaume. En effet, «notre Dieu est un feu dévorant» (Deut., 4, 24 ; Héb., 12, 29). «Il punit par une flamme de feu ceux qui ne le connaissent pas et n’obéissent pas à son Évangile» (2 Thess., l, 8). C'est ce feu qui agissait dans les apôtres quand ils ont parlé avec des langues enflammées, c’est lui qui brilla pour Paul à travers la voix qu`il entendit, illuminant son intelligence, mais obscurcissant son sens de la vue Car ce n’est pas hors de la chair qu'il vit la force de cette lumière. (Pest ce feu qui se montra à Moïse dans le buisson. C’est ce feu qui enleva Elie de la terre sous la figure d’un char. C'est l’énergie de ce feu que le bienheureux David demandait en disant : «Scrute-moi, Seigneur éprouve-moi ; passe au feu mes reins et mon cœur» (Ps., 25, 2).
10. C'est ce feu qui réchauffait le cœur de Cléophas et de ses compagnons quand le Sauveur leur parla après la résurrection (cf. Lc, 24, 18 ss.). Les anges et les esprits qui servent Dieu participent eux aussi à l'éclat de ce feu, ainsi qu'il est écrit : « Il fait de ses anges des esprits et de ses serviteurs des flammes de feu » (Ps., 103, 4). C'est ce feu qui consume la poutre qui est dans l'œil et restaure l’intellect dans sa pureté, pour qu’retrouve la pénétration conforme à sa nature et regarde sans arrêt les merveilles de Dieu, selon cette parole : «Enlève le voile de mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta Loi›› (Ps., 118, 18). Ce feu chasse donc les démons, supprime le péché, est une force de résurrection et une énergie d’immortalité, l’illumination des âmes saintes et le soutien des puissances intellectuelles. Prions pour que ce feu vienne aussi en nous, afin que, marchant toujours dans la lumière, nous ne heurtions jamais nos pieds, si peu que ce soit, contre une pierre, mais que nous brillions dans le monde comme des flambeaux et que nous gardiens les paroles de la vie éternelle. Alors, nous jouirons des biens divins et nous reposerons avec le Seigneur dans la vie, en louant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, à qui soit la gloire dans les siècles. Amen.
Extrait de Saint Macaire d’Egypte
LES HOMELIES SPIRITUELLES P. 244 et suivantes
Ed Bellefontaine
Trad Père Placide Deseille