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 Mgr Kallistos Ware

« Nous devons prier pour tous »

Le salut du monde selon saint Silouane[1]

 

Mgr Kallistos Ware, évêque de Diocléia

 

(Article paru dans la revue de l'Association, "Buisson Ardent" N° 3)

 

« Aimez toute la création », dit le starets Zossime dans Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski :

« Aimez la création divine dans son ensemble, aussi bien que chaque grain de sable pris isolément, chaque feuille, chaque rayon de lumière. Aimez les animaux, aimez les plantes, aimez tout ce qui existe. En aimant la création, vous pénétrerez le mystère divin qu'elle renferme. »

 

Ce « mystère divin » dont parle le starets Zossime est précisément l'interdépendance, la périchorèse[2] de toutes choses créées en Dieu : « Car la vie est comme un océan où toutes les vagues se mêlent et se confondent. Un coup porté en un lieu donné se répercute jusqu'à l'extrémité opposée de la Terre...[3] »

Telle est la vision que Dostoïevski a de l'unité cosmique. Le monde créé constitue un tout indivisible. Par conséquent, le salut de chaque personne individuelle est indissociable du salut de toute l'humanité et, plus encore, du salut de l'univers tout entier. Il faut comprendre dans son sens le plus large l'affirmation de saint Paul : « Nous sommes membres les uns des autres » (Ep 4,25). Ce n'est pas seulement nous, êtres humains, qui dépendons les uns des autres comme les membres d'un seul corps ; nous avons aussi des liens de parenté avec les animaux, les arbres, les plantes, les pierres, la terre, l'air et l'eau. Nous vivons en eux, et ils vivent en nous.

Saint Silouane l'Athonite exprime justement ce même sens de l'unité cosmique : « L'homme qui porte en lui le Saint-Esprit, même si ce n'est pas en plénitude, souffre pour tous les hommes jour et nuit ; son cœur est plein de compassion pour toute créature de Dieu et surtout pour les hommes qui ne connaissent pas Dieu ou s'opposent à lui, et qui, pour cette raison, iront dans le feu des tourments. Il prie pour eux jour et nuit, plus que pour lui-même, afin que tous se repentent et connaissent le Seigneur » (323)[4]. « À ceux qu’il a élus, le Seigneur donne une grâce si grande que, dans leur amour, ils étreignent toute la terre, le monde entier » (336).

L'archimandrite Sophrony, dans son livre sur saint Silouane, résume l'enseignement du starets sur la périchorèse en des termes qui rappellent immédiatement Dostoïevski : « Le starets considérait la vie du monde spirituel comme un tout. En vertu de cette unité, tout phénomène spirituel se répercute inévitablement sur l’ensemble de ce monde » (97).

Nous ne trahissons pas la pensée du starets Silouane — ou du Père Sophrony — si nous donnons à ces mots une portée encore plus vaste : au lieu de dire « le monde spirituel » et « tout phénomène spirituel », nous pouvons dire « le monde créé »  et « tout phénomène ». Comme l'écrit le Père Sophrony ailleurs, saint Silouane croyait que quiconque prie Dieu en vérité, « intègre à sa propre vie éternelle tous les hommes, quelle que soit la distance du lieu où ils vivent ou l’éloignement de l’époque à laquelle ils ont vécu... »(225). En effet, il intègre non seulement chaque personne, mais chaque chose. Rien ne lui est « étranger ». Comme l'écrivait Dostoïevski, « un océan où toutes les vagues se mêlent et se confondent ».

Malgré ces parallèles surprenants entre le romancier russe et le moine athonite, il est fort peu probable que saint Silouane ait jamais lu une ligne de Dostoïevski. Les similitudes viennent, vraisemblablement, du fait que les deux ont bu aux mêmes sources et ont été formés par la même tradition vivante. Saint Silouane, très certainement, et Dostoïevski, vraisemblablement, ont été influencés par un ermite mésopotamien du VIIe siècle qui fut évêque de Ninive pour une courte période et qui est connu dans l’Église orthodoxe sous le nom de saint Isaac le Syrien. C’est lui qui, dans ses Discours ascétiques, a écrit ces lignes devenues célèbres : « Qu'est-ce qu'un cœur compatissant ? C’est un cœur qui brûle pour toute la création, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour toute créature. Lorsqu’il pense à eux, et lorsqu’il les voit, ses yeux versent des larmes. Si forte et violente est sa compassion, si grande est sa constance, que son cœur se serre et qu’il ne peut supporter d’entendre ou de voir le moindre mal ou la moindre tristesse au sein de la création. C’est pourquoi il prie en larmes à toute heure pour les animaux sans raison, pour les ennemis de la vérité et tous ceux qui lui nuisent, afin qu’ils soient gardés et qu’ils soient pardonnés[5]. »

Que veut dire exactement le starets Silouane lorsque, fidèle à l'enseignement de saint Isaac, il affirme que les saints « embrassent toute la terre, le monde entier, par leur amour » ? Examinons d'un peu plus près les trois thèmes fondamentaux de sa conception de l'amour et de la prière pour toute la création, qui constituent notre véritable vocation en tant que personnes humaines.

En premier lieu, il y a la ferme conviction du starets Silouane que Dieu appelle chaque être humain au salut. Ensuite, il y a la vision de « l'Adam total », liée à cette idée sur laquelle le starets insiste : mon prochain est moi-même. Enfin, il y a la certitude que, dans le dessein global de Dieu, ce ne sont pas seulement les êtres humains, mais aussi le cosmos tout entier qui devra être sauvé et transfiguré.

 

« L'amour divin désire le salut pour tous »

 

« Après son expérience des souffrances de l’enfer, après l’indication du Seigneur : “Tiens ton esprit en enfer”, le starets Silouane aimait tout particulièrement prier pour les morts, pour ceux qui souffrent en enfer », écrit le Père Sophrony en rappelant une conversation qu'il avait entendue entre le starets et un ermite un peu sévère :

« L’ermite dit au starets avec un air d'évidente satisfaction : “Dieu châtiera tous les athées. Ils brûleront dans le feu éternel.” Visiblement peiné, le starets Silouane répliqua : “Eh bien, dis-moi, je t'en prie, si on te mettait au paradis et que, de là, tu puisses voir comment quelqu'un brûle dans le feu de l'enfer, pourrais-tu être en paix ?” — “Qu'y faire ? C'est de leur propre faute”, dit l'autre. Alors, le visage douloureux, le starets répondit : “L'amour ne peut pas supporter cela... Il faut prier pour tous les hommes” » (48-49).

Cette intercession universelle commandée par saint Silouane n’est ni sentimentale, ni utopique. Elle a, au contraire, un fondement scripturaire très clair : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2,4). Il s'agit là d'un texte essentiel, que les arminiens[6] du XVIIe siècle ont invoqué contre la doctrine calviniste stricte de la double prédestination ; c'est aussi le texte qui a inspiré la dynamique prédication missionnaire de John Wesley[7] au XVIIIe siècle ; c'est enfin un passage que les Athonites du XXe siècle gardent constamment à l'esprit. Ainsi, saint Silouane : « Mon âme désire que les hommes du monde entier soient sauvés » (255-256). « L’amour divin désire pour tous le salut » (303). « Le Seigneur nous aime tant qu’il veut que tous les hommes soient sauvés » (337). « Ainsi, nous aussi, nous ne devons avoir qu’une seule pensée : que tous soient sauvés » (346). « Le Seigneur miséricordieux donne à l’âme tantôt le repos en Dieu, tantôt un cœur douloureux pour le monde entier, afin que tous les hommes se repentent et parviennent au paradis » (385).

Selon saint Silouane, ce désir ardent du salut de toute l'humanité est incarné, au suprême degré, par la figure de la Mère de Dieu, la Vierge Marie. Ici aussi, comme toujours, elle est notre modèle : « La Mère de Dieu, tout comme son Fils bien-aimé, désirait de tout son être le salut pour tous les hommes » (370). « Elle aimait les hommes et priait ardemment pour eux [...] ; elle priait pour le monde entier afin que tous les hommes soient sauvés » (335).

 

Le fait que Dieu désire le salut de tous ne signifie pas, bien sûr, que notre salut est automatique et inéluctable. Comme on peut le lire dans l’un des écrits apostoliques, la Lettre à Diognète, Dieu cherche le salut « par la persuasion, non par la violence : il n’y a pas de violence en Dieu » (VII, 4). L'appel de Dieu au salut vient sous la forme d'une invitation que nous sommes libres, dans notre humanité, d'accepter ou de refuser. Mais si la réponse varie, l'appel est universel. Ce point est bien mis en relief par un ermite athonite contemporain, le Père Basile. Un visiteur, très influencé par la mentalité en vogue du New Age, lui demanda : « Père, est-ce que tous les êtres humains vont finalement être sauvés ? » Après un moment de réflexion, le Père Basile répondit sans hésitation : « À tous les êtres humains est donnée la possibilité d’atteindre le salut[8] ».

La foi de saint Silouane que Dieu désire effectivement le salut universel de toute la race humaine peut être résumée en quatre brèves injonctions : aimez tous les êtres, priez pour tous, pleurez pour tous, repentez-vous pour tous. Ces quatre points ne doivent pas être considérés comme des étapes successives, mais comme plusieurs aspects interdépendants d’un seul et même effort.

 

1) Aimez tous les êtres

 

Lorsque, jeune moine, pendant la célébration des vêpres dans la chapelle du Saint-Prophète-Élie, saint Silouane eut la première vision du Christ (28), son âme a été envahie d’un « nouveau sentiment, très doux, d’amour pour Dieu et pour les hommes, pour chaque homme » (35). Cet amour universel est resté en lui durant toute sa vie : « L’amour ne souffre pas la perte même d’une seule âme » (257), écrivit-il de nombreuses années plus tard. Un tel amour était pour lui la caractéristique par excellence des saints, ce qu’il n’a jamais prétendu être. Ainsi, il écrit : « Les saints vivent dans l’autre monde et là, par le Saint-Esprit, ils voient la gloire de Dieu et la beauté du visage du Seigneur. [...] Par le Saint-Esprit, ils voient les souffrances des hommes sur la terre. [...] Ils connaissent le Seigneur et sa bonté pour les hommes, et c’est pourquoi leur esprit brûle d’amour pour le monde » (360-61).

Cet amour ardent, tel que le conçoit le starets, s'étend au-delà du monde des vivants, aux morts et à ceux qui ne sont pas encore nés. Il embrasse ainsi ce que le Père Sophrony appelle « l’Adam total » ou « toute la race d’Adam » : « Recherchant le salut de tous les hommes, l’amour veut aller jusqu’au bout ; c’est pourquoi il embrasse non seulement le monde de ceux qui vivent maintenant sur terre, mais encore ceux qui sont déjà morts, l’enfer même et ceux qui ne sont pas encore nés, autrement dit l’Adam total » (104).

C’est également ce que souligne, avec raison, Alexis Khomiakov dans la première partie de son livre L’Église est une : « Ceux qui sont vivants sur terre, ceux qui ont achevé leur course terrestre, ceux qui, comme les anges, n'ont pas été créés pour une vie sur terre, ceux qui, dans les générations futures, n'ont pas encore commencé leur course terrestre, tous sont unis dans une seule Église, dans une seule et même grâce de Dieu. Car la création de Dieu qui n’a pas encore été manifestée est manifeste à Dieu ; Dieu entend les prières et connaît la foi de ceux qu’il n’a pas encore appelés de la non-existence à l’existence. »

Pour saint Silouane, comme nous l'avons vu dans sa conversation avec l'ermite sévère, cet amour pour les hommes comprend aussi l'enfer. Exposant l'enseignement du starets, le Père Sophrony écrit : « Demeurant dans les cieux, les saints voient l’enfer et l’embrassent aussi de leur amour » (117).

C'est possible pour eux, parce que l'amour qui agit dans leur cœur n'est rien d'autre que l'amour de Dieu lui-même ; et l'amour de Dieu est présent partout — même en enfer : « Dieu est présent même en enfer. (117) [...] Même en enfer, l’amour de Dieu embrassera tous les hommes ; mais alors que cet amour sera joie et vie pour ceux qui aiment Dieu, il sera tourment pour ceux qui le haïssent. » Comme le dit Vladimir Lossky, « l'amour divin […] deviendra un tourment intolérable pour ceux qui ne l'ont pas acquis à l’intérieur d’eux-mêmes[9]. »

En enseignant ainsi que la puissance de l'amour s'étend même à l'enfer, le starets Silouane, une fois de plus, suit saint Isaac le Syrien qui écrit dans ses Discours ascétiques : « Je dis que ceux qui sont tourmentés en enfer le sont par les coups de l’amour. Qu’y a-t-il de plus amer et de plus violent que les tourments de l’amour ? Ceux qui sentent qu’ils ont péché contre l’amour, portent en eux une damnation bien plus grande que les châtiments les plus redoutés. La souffrance que met dans le cœur le péché contre l’amour est plus déchirante que tout autre tourment. [...] Par sa puissance même, l’amour agit de deux manières. Il tourmente les pécheurs, comme il arrive ici-bas qu’un ami tourmente un ami. Et il réjouit en lui ceux qui ont gardé ce qu’il fallait faire. Tel est à mon sens le tourment de l’enfer : le regret. Mais les âmes des fils d’en-haut sont dans l’ivresse des délices[10]. »

« Le pouvoir de l'amour agit de deux manières » : ce que les saints au ciel ressentent comme de la joie, ceux qui sont condamnés à l'enfer le vivent comme une douleur intense. Mais c'est le même amour divin qui est présent dans les deux.

Si ceux qui se trouvent en enfer ne sont pas privés de l'amour de Dieu, s'ils sont embrassés par l'amour des saints, n’ont-ils pas encore la possibilité de répondre à cet amour qui les entoure de tous côtés ? N'y a-t-il pas un espoir qu'ils puissent être quand même finalement sauvés ? Il semble que saint Isaac ait cru au salut final de toute personne créée ; en tant que membre de l'Église d'Orient, habitant en sécurité au-delà des confins de l'Empire byzantin, il n'avait aucune raison de craindre les anathèmes lancés contre la doctrine d’Origène par le 5e Concile Œcuménique, en 553.

Qu'en pensait saint Silouane ? Le Père Sophrony estime, à mon avis à juste titre, qu’il n'était pas origéniste (105)[11]. Saint Silouane souligne que notre intercession aimante devrait s'étendre même à ceux qui sont en enfer ; il nous exhorte à « souffrir pour ceux qui ne se sauvent pas » (345) et à « pleurer pour ceux qui ne connaissent pas Dieu » (352). Mais avec une réticence caractéristique, il évite toute spéculation sur une apocatastase  finale. Il ne tente pas de préciser qui peut être sauvé et qui ne peut l'être ; c'est un mystère qui n’est connu actuellement que de Dieu seul. Pour sa part, le starets ne répond que par ces mots: « Je ne sais pas » ; « Le Père Cassien a dit que tous les hérétiques seraient damnés. Je ne le sais pas, mais je n’ai confiance qu’en l’Église orthodoxe : en elle se trouve la joie du salut qui s’obtient par l’humilité du Christ » (434).

En évoquant la possibilité que, dans les siècles à venir, des êtres humains restent à jamais non réconciliés, brûlant dans le feu de l'enfer, le starets dit simplement : « L'amour ne saurait supporter cela. » Il n'en dit pas plus.

 

Et les démons ? Peuvent-ils être eux aussi sauvés et, dans ce cas, ne devrions-nous pas également prier pour eux ? Saint Isaac le Syrien, comme nous l'avons vu, affirme que le cœur miséricordieux « brûle » du feu de la compassion pour les démons, mais il ne dit pas vraiment que nous devrions prier pour eux. Saint Silouane parle en termes semblables. Nous devons « avoir pitié » des démons, mais il ne nous dit pas d'intercéder pour eux : « L'Esprit de Dieu nous apprend l’amour pour tout ce qui existe, et l’âme a compassion pour tout être ; elle aime aussi ses ennemis et plaint même les démons, parce que, par leur chute, ils se sont détachés du bien » (423-424).

Le starets était véritablement d’Église ; par conséquent, si on lui avait demandé si on peut légitimement prier pour les démons — le Père Sophrony ne mentionne jamais qu’une telle question lui ait été posée — il aurait certainement répondu que l'Église n'a pas une telle pratique et que, dans toutes les affaires de ce genre, nous devons suivre la règle de prière de l'Église. Mais, en même temps, il ne nous appartient pas de mettre des limites à la miséricorde divine. Toutes les dimensions abyssales de l’amour de Dieu comme toutes les dimensions abyssales de la liberté humaine sont des mystères qui se situent au-delà de la compréhension humaine.

 

2) Priez pour tous les hommes

 

L'amour et la prière vont de pair. Ainsi, si nous devons aimer tous les êtres humains, cela signifie que nous devons aussi prier pour eux. Le starets écrit : « Je te prie, Seigneur miséricordieux, donne à tous les hommes, depuis Adam et jusqu’à la fin des temps, de te connaître » (296). « Je prierai pour le monde entier, pour que tous les hommes se tournent vers Dieu et trouvent le repos en lui » (303). « Je te prie, Seigneur, donne à tous les peuples de te connaître » (307).

Le starets cite, en les approuvant, les paroles d'un moine ascétique avec lequel il s'était entretenu : « Si c’était possible, je les emmènerais tous hors de l’enfer, et alors seulement mon âme serait en paix et pourrait se réjouir » (422). « Si c’était possible » : le starets ne dit pas que c'est effectivement possible.

Saint Silouane voit cette intercession englobant le monde entier comme la vocation propre et caractéristique du moine : « Le moine est un homme qui prie et qui pleure pour le monde entier ; c’est en cela qu’est sa principale occupation » (370). La prière constante est, pour le moine, sa manière de servir la société tout entière : « Grâce aux moines, la prière ne s’interrompt jamais sur la terre ; et cela est utile pour le monde entier, car le monde subsiste par la prière. Mais quand la prière faiblira, le monde périra. [...] Le monde subsiste grâce aux prières des saints » (370-371).

Dans cette perspective, le Père Sophrony se réfère avec justesse à saint Barsanuphe de Gaza[12]. Cet « ancien » du VIe siècle témoigne que de son temps la prière de trois hommes sauva le monde de la catastrophe. Barsanuphe mentionne les noms des deux premiers qui sont, d’une manière significative, complètement inconnus des annales de l'histoire. Il ne dit pas qui était le troisième, sans doute parce que Dieu lui avait révélé que c’était lui-même, Barsanuphe[13].

En priant ainsi pour le monde, le moine non seulement aide l'Église et la société en général, mais il s'aide aussi lui-même. Le starets décrit ici sa propre expérience comme économe du monastère. La plupart des moines considèrent que cette « obédience » particulière empêche de garder la prière incessante et la paix intérieure, car elle implique un contact continuel avec beaucoup de gens, toute la journée. Le starets Silouane n'est pas d'accord. Si l'économe, en accomplissant ses tâches, s’efforce d’intercéder constammentpour ceux dont il a la charge, en disant « le Seigneur aime sa Création », tout ira bien ; il verra qu’il est libéré des distractions et qu’il peut garder le souvenir ininterrompu de Dieu » (379).

Dans la relation du moine avec le monde, saint Silouane distingue un double mouvement. D'abord, à travers la prière, le moine se retire en lui-même. Il se ferme au monde, se libère peu à peu des images visuelles et des pensées discursives. Il entre ainsi dans l'impassibilité du cœur, exempte d'images. Alors, de la profondeur de son propre cœur, il redécouvre sa solidarité avec toute la création. Ainsi, la fuite du monde par le moine aboutit non pas à un déni du monde, mais à l'affirmation du monde dans la prière. Comme le dit le Père Sophrony, « dans son élan vers Dieu, le moine « hait » le monde et se retire complètement dans les profondeurs de son cœur. Et quand il y pénètre réellement pour y livrer bataille à Satan, pour le purifier de toute passion pécheresse, alors, dans la profondeur de ce même cœur, il rencontre Dieu ; en Dieu, il commence à se voir indissolublement lié à toute l’existence cosmique, et alors plus rien ne lui est étranger, extérieur. Ayant au commencement rompu avec le monde, il le retrouve en lui par le Christ, mais, dès lors, d’une tout autre manière, et se trouve lié à lui par “une union d’amour” pour toute l’éternité » (225).

Comme le remarque saint Silouane, « il fut dit à saint Arsène : “Fuis les hommes” ; mais l’Esprit divin nous enseigne, même dans le désert, à prier pour les hommes et pour le monde entier » (277).

 

3) Pleurer pour tous

 

La prière authentique a son prix ; l'intercession aimante implique un martyre intérieur, une acceptation volontaire de la souffrance. Comme le remarque saint Silouane, « prier pour les hommes, c’est verser son sang » (230) ; « plus on aime, plus grande aussi est la souffrance » (312). Il ne suffit pas de lire des listes de noms ; on nous demande d'intercéder avec des larmes de douleur. « Prier pour tous les hommes » signifie « pleurer pour tous les hommes » : « Mon cœur souffre pour le monde entier ; je prie et je verse des larmes pour le monde entier, pour que tous les hommes se repentent... » (315). « Et mon âme pleure pour le monde entier » (339). « Seigneur, donne-moi de verser des larmes pour moi-même et pour le monde entier » (350).

 

4) Repentez-vous pour tous

 

Saint Silouane voudrait que nous allions encore plus loin sur la voie de la périchorèse. Il ne nous demande pas seulement de pleurer pour tous les hommes, mais aussi de nous repentir pour tous les hommes. Cette façon de voir rejoint l’exhortation de saint Paul lorsqu'il dit : « Portez les fardeaux les uns des autres, et ainsi accomplissez la loi du Christ » (Ga 6,2). Comme le fait remarquer le Père Sophrony, d'un point de vue purement juridique, la notion de « substitution » ou de repentir vicariant — qui voit se reporter la culpabilité d'une personne sur une autre — n'a pas de sens ; ce n'est tout simplement « pas juste ».

Cependant, l'amour du Christ n'est pas limité par des normes juridiques : « Mais l’esprit de l’amour du Christ tient un autre langage. Selon l’esprit de cet amour, il n’est pas étrange, mais tout à fait naturel, de partager la responsabilité de la faute de celui que nous aimons et même de la prendre entièrement sur soi. Bien plus, c’est en assumant la faute d’autrui que se révèle l’authenticité de l’amour et qu’on en prend vraiment conscience » (122).

Si Adam est « tombé », poursuit le Père Sophrony, c’est précisément parce qu'il a refusé d’accepter qu’il était, lui aussi, impliqué dans la culpabilité du péché d'Ève. « Adam nia sa responsabilité en rejetant la faute sur Ève et sur Dieu qui lui avait donné cette femme ; par là, il brisa l'unité de l’homme. [...] Il est permis de penser que si, au lieu de se justifier, Adam avait assumé la responsabilité de leur péché commun, à lui et à Ève, le destin du monde aurait été autre » (122). Lorsque nous, à notre tour, nous refusons de nous repentir pour les autres, nous répétons le péché d'Adam, faisant ainsi de sa chute notre propre chute.

Cette idée de repentir vicariant paraîtra sans doute étrange à la plupart des lecteurs d’aujourd’hui. Elle s’inscrit pourtant dans le meilleur de la tradition des Pères de l’Église. L’un des auteurs qui l’a exprimée avec force est saint Marc le Moine, un ascète dont on situe la vie au début du Ve siècle : « Les saints doivent par nécessité offrir leur repentir pour leur prochain, car ils ne peuvent devenir parfaits sans la pratique d’une charité efficace. [...] Si le repentir est demande de miséricorde, [...] le monde entier garde son unité grâce à lui, l’un recevant le secours de l’autre, selon le dessein de Dieu[14]. »

À première vue, il peut sembler étrange que, en résumant l’enseignement de saint Silouane sur le désir que Dieu a du salut de tous, j’aie choisi de placer le repentir en quatrième lieu plutôt qu’en premier. Comme je l’ai déjà signalé, il ne faut pas voir mes quatre points d’une manière chronologique, comme des étapes strictement successives. Cela dit, il y a une raison particulière qui explique pourquoi il me semble plus approprié de mentionner l’injonction « repentez-vous pour tous » à la fin, après les trois autres aspects. S’il est vrai que le repentir pour moi-même est le point de départ de la vie spirituelle, le « premier pas » dont tout le reste dépend — un « premier pas » qui doit être bien sûr constamment répété, car jusqu’à la fin de notre vie terrestre notre repentir ne sera jamais achevé —, il est vrai également que le repentir pour les autres est quelque chose qui ne devient progressivement possible que dans la mesure où j’apprends à aimer les autres, à pleurer pour eux et à prier pour eux. Si le repentir pour moi-même est considéré comme la semence ou la racine, le repentir pour les autres est le fruit qui croît sur les branches de l’arbre spirituel. Il me semble donc mieux de terminer avec lui plutôt que de commencer par lui.

 

« Adam, notre père »

 

Le désir de salut pour tous les hommes qui consumait saint Silouane prend un relief plus accentué quand nous considérons son enseignement à propos ce que le Père Sophrony appelle « l'Adam total ».

Pour saint Silouane, Adam est « notre père » (407), « le père de toute l'humanité » (404). Suivant saint Paul (I Co 15,22-45), le starets voit Adam, le premier homme créé, comme la tête collective de toute la race humaine, contenant et récapitulant en lui-même l'ensemble de l'humanité. Il y a ici d’évidents parallèles entre saint Silouane et saint Irénée de Lyon, même s'il est probable que le starets n’était pas très familier des écrits de saint Irénée. Cette solidarité et cette récapitulation en Adam rendent toutes les personnes humaines « consubstantielles » et « ontologiquement unes », comme le précise le Père Sophrony (150, 124) — saint Silouane n’utilise jamais lui-même de telles expressions philosophiques. Cette unité ontologique n'est pas simplement abstraite et théorique, mais elle est spécifique et actuelle. Car, pour citer une fois encore le Père Sophrony, « l'Adam total n'est pas une abstraction, mais bien la plus concrète plénitude de l'être humain » (215). C'est le refus de cette consubstantialité qui a constitué, comme nous l'avons vu, l'essence de la chute d'Adam.

Cette unité dans « l'Adam total », saint Silouane l’a exprimée avec une grande émotion dans son texte sans doute le plus célèbre, les Lamentations d'Adam (404-412). Là, le starets prend et développe à sa manière les textes liturgiques du dimanche précédant le début du Grand Carême, le « Dimanche du Pardon », lorsque l'Église orthodoxe commémore l'expulsion d'Adam du Paradis. Il s'inspire, en particulier, de l'ikos du jour :  « Adam s’assit autrefois pour pleurer devant la porte du Paradis ; et, la tête dans ses mains, il disait : Dieu de tendresse, prends pitié de moi, pauvre pécheur. Paradis de délices, compatis à la douleur de ton maître déchu et, par le murmure de tes feuilles, supplie le Créateur de ne pas te fermer pour toujours la porte : Dieu de tendresse, prends pitié de moi, pauvre pécheur[15]. »

En lisant les Lamentations d'Adam, le poème en prose de saint Silouane, nous comprenons qu'il ne s'agit pas seulement des lamentations d'Adam, mais aussi de saint Silouane lui-même et, plus encore, de toute la race humaine. Le repentir douloureux d'Adam est aussi notre repentir : « L'âme qui a perdu la grâce languit après son maître et pleure comme Adam lorsqu’il fut chassé du Paradis... » (302). Donne-nous, Seigneur, le repentir d’Adam... » (256).

Mais ce n’est pas tout. Ce ne sont pas seulement les lamentations de l'humanité, mais de toute la création, car toutes les créatures sont impliquées dans la chute d'Adam : « Ainsi se lamentait Adam, et les larmes lui coulaient du visage sur la poitrine et jusqu'à terre, et tout le désert résonnait de ses gémissements. Les animaux et les oiseaux se turent de douleur » (405). « Pourtant la terre entière est dans la souffrance... » (408).

Le péché d'Adam est cosmique dans ses effets, puisqu'il a détruit l'harmonie primordiale qui prévalait entre les êtres humains et le reste de la création. C'est pour cela qu'Adam s'exclame dans ses « lamentations » : « Au paradis, j'étais heureux et joyeux. L'Esprit de Dieu me réjouissait, et je ne connaissais aucune souffrance. Mais, lorsque je fus chassé du paradis, le froid et la faim commencèrent à me torturer. Les animaux et les oiseaux qui étaient doux dans le paradis et qui m'aimaient, devinrent sauvages et se mirent à me craindre et à me fuir » (411-412).

 

À cause de notre solidarité dans l'« Adam total », écrit le Père Sophrony, nous partageons tous la faute d'Adam (122). Cela ne signifie pas que lui-même ou saint Silouane endossent la doctrine augustinienne du péché originel, sous une forme complètement développée du point de vue logique et juridique. Mais cela veut dire que, unis comme nous le sommes, en tant que membres d'une seule et même famille humaine, nous sommes tous « responsables de chacun et de toute chose », pour citer les mots du starets Zossime dans Les Frères Karamazov.

Toutefois, si nous sommes soumis à la solidarité dans la culpabilité, nous bénéficions également de la solidarité dans le salut. Comme le dit Khomiakov, « personne n'est sauvé tout seul ». Mon salut personnel est lié au salut de toute la race humaine, et même de toute la création. Le Père Sophrony illustre très bien cette interdépendance à la fois dans le péché et dans le salut en relatant une conversation qu'il a un jour entendue entre deux moines au Mont Athos : « L’un disait : “Je ne peux pas comprendre pourquoi le Seigneur ne donne pas la paix au monde, lorsque ne serait-ce qu’un seul homme l’en supplie.” L’autre répondit : “Et comment une paix parfaite est-elle possible sur terre, tant qu’il reste ne serait-ce qu’un seul homme de mauvaise volonté ?” » (194).

Cette approche de « l'Adam total » signifie qu'à chaque fois que nous prononçons la prière du Seigneur, nous l'offrons non seulement pour nous, mais aussi pour tous les hommes. Comme le dit le Père Sophrony, « quand nous disons Notre Père, nous pensons à toute l'humanité et nous demandons la plénitude de grâce pour tous comme pour nous-mêmes[16]. » Saint Grégoire de Nysse souligne ce point lorsqu'il affirme que, « puisque nousparticipons à la nature d'Adam et donc aussi à sa chute », la demande dans la prière du Seigneur « Pardonne-nous nos offenses » est en conséquence quelque chose que nous offrons pour le salut d’Adam autant que pour nous-mêmes[17]. Cela s’accorde parfaitement avec la pensée de saint Silouane.

 

En s'appuyant sur cette théologie de « l'Adam total », le starets est en mesure de donner une interprétation particulièrement forte du commandement du Christ « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 19,19). Je dois aimer mon prochain comme moi-même parce que, en vertu de l'unité de toute l'humanité en « Adam notre père », mon prochainest moi-même. De même, je dois prier pour les autres comme je prie pour moi-même : « Moi, ce n’est que l’humilité et l’amour du Christ que je voudrais apprendre, afin de ne blesser personne et de prier pour tous les hommes comme pour moi-même » (322). De même, la souffrance de l'autre est ma souffrance et la guérison de mon prochain est aussi ma guérison ; « la gloire de mon frère sera aussi ma gloire[18] », dit le Père Sophrony. Et saint Paul : « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui ; un membre est-il à l'honneur ? Tous les membres se réjouissent avec lui » (I Co 12,26).

C'est ce qui amène saint Silouane à affirmer, au sens fort et littéral, que la vie de mon prochain est ma propre vie : « Bienheureuse l’âme qui aime son frère, car notre frère est notre propre vie » (339).

Pour celui qui prie, écrit le Père Sophrony, « l'existence de toute l'humanité n'est pas quelque chose d'étranger, d'extrinsèque, mais elle est inséparablement liée à son existence personnelle. [...] Par l'amour du Christ, tout homme est assumé comme partie intégrante de notre propre existence éternelle » (47).

Le Christ a assumé l'« Adam total » en lui et il a souffert pour lui ; par conséquent, nous devrions aussi assumer « la vie de toute l'humanité », veillant sur chaque personne comme sur notre « frère pour l'éternité ». « C'est pourquoi chacun de nous ne doit pas seulement s'occuper de lui-même, mais aussi de cette unité » (48), écrit le Père Sophrony. Et d’ajouter, selon le starets Silouane : « Dans son cœur profond, le chrétien vit, d’une certaine manière, toute l’histoire du monde comme la sienne propre ; [...] car nul homme n’est pour lui un étranger » (225). Notre sens de la solidarité avec nos compagnons humains devient si fort que nous regardons toute l’humanité comme constituant un seul homme. Comme le dit le Père Sophrony, « l’Adam total devient un seul homme-humanité[19]. [...] Dans la prière pour le monde entier, il nous est donné de vivre toute l’humanité comme un seul homme[20]. » De cette manière, nous devenons capables d’appréhender « l’universalité de la personne humaine[21]. »

C'est précisément parce que mon prochain est moi-même, parce que la vie de mon frère est ma propre vie, que je suis appelé à aimer mes ennemis. Ce n'est qu'à la lumière de l'enseignement de saint Silouane sur « l'Adam total » que nous pouvons véritablement apprécier l'importance cruciale qu'il attache à l'amour des ennemis. Je dois aimer mon ennemi, parce que mon ennemi, c'est moi-même ; je suis l’autre que je considère comme mon ennemi. Sa vie est la mienne, et ma vie est la sienne. L'amour des ennemis est un corollaire direct de notre périchorèse en « Adam, notre père ».

L’interdépendance de toute l’humanité dans « l’Adam total » est résumé d’une manière vivante par le Père Sophrony dans l’image d’un arbre cosmique : « Aime ton prochain comme toi-même. Il m’a été donné de saisir ce commandement sous la forme d’un arbre, cosmique, gigantesque, dont la racine est Adam. Moi, je ne suis qu’une petite feuille sur une branche de cet arbre. Mais cet arbre ne m’est pas étranger ; il est mon fondement. Je lui appartiens. Prier pour le monde entier, c’est prier pour cet arbre dans sa totalité, avec ses milliards de feuilles[22]. »

Avant d’abandonner le thème de « l’Adam total », remarquons que, même s’il parle du péché d’Adam, saint Silouane fait toujours référence à notre ancêtre avec respect, vénération et amour. Adam se lamentant devant les portes du paradis est en fait une figure tragique, mais il n’est jamais, aux yeux de Silouane, un objet de mépris et d’aversion. Le starets ici demeure fidèle à l’approche orthodoxe traditionnelle qui voit en Adam et Ève des exemples de sainteté. Ils ne sont pas regardés seulement comme des pécheurs, mais comme des pécheurs à qui l’on a pardonné et qui partagent maintenant la lumière et la gloire. C’est très clairement exprimé dans l’icône de la résurrection montrant le Christ qui tend les mains vers Adam et Ève et les tire avec force de la tombe vers la vie éternelle.

 

« Pleurez avec moi, forêt et désert »

 

Le péché et le salut, cependant, n’ont pas seulement une portée humaine ; ils touchent aussi tout l'ordre du créé. Lorsque Adam est tombé, toute la création est tombée avec lui ; de la même manière, notre salut humain inaugurera le salut de tout le cosmos. Comme l'écrit le Père Sophrony, « chaque saint est un phénomène d’une portée cosmique » (216). Nous ne sommes pas sauvés du monde, mais avec le monde.

Cette compréhension cosmique du péché et du salut a un fondement solide dans les Écritures. Saint Jean-Baptiste, par exemple, salue Jésus par ces mots : « Voici l'agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29). Le Précurseur ne parle pas « des péchés », au pluriel, mais « du péché », au singulier ; et il ne renvoie pas qu’au péché des hommes, mais « du monde ». Au-delà des péchés personnels de chaque individu, il y a un état de péché plus profond qui implique le monde dans son ensemble. Saint Paul, à son tour, affirme que tout l'univers créé est actuellement « dans la servitude de la corruption » et « jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement », aspirant « avidement à la révélation des fils de Dieu ». Lorsque nous, êtres humains, nous entrerons dans la « liberté glorieuse » en Christ, alors toute la création sera elle aussi libérée (Rm 8,19-22). Notre chute, pour ainsi dire, entraîne la chute de toute la création, et notre rédemption, de la même manière, apportera la libération à la création tout entière. Pour cette raison, le Nouveau Testament conclut par une vision globale non seulement d'un « ciel nouveau » mais d'une « terre nouvelle » (Ap 21,1).

Cette manière d’appréhender les dimensions cosmiques de l'œuvre salvatrice du Christ trouve son expression dans les offices de l'Église. Prenons, par exemple, un texte que saint Silouane connaissait sans doute bien : les « Éloges funèbres » (Encomia) récités aux matines du Samedi Saint devant l'epitaphion, qui représente le Christ mort prêt à être mis au tombeau[23]. Ces « Éloges » soulignent que l’œuvre rédemptrice du Christ n’est pas sélective, mais de portée universelle. Sa mort et sa résurrection apportent pardon et vie nouvelle à la race humaine tout entière : « Sur la croix où l’on t’exalte, tu élèves tous les hommes avec toi ; sous la terre où tu descends, tu as ressuscité tous les fils des hommes qui gisaient dans les tombeaux. Ô Jésus, tu nous rassembles, sur la croix tu réunis tous les mortels, de la plaie de ton côté s’épanche un flot de vie et tu fais jaillir sur nous les fleuves du pardon. »

Ces « Éloges », cependant, vont plus loin encore ; ils proclament que la mort du Christ sur la croix a non seulement renouvelé toute l’humanité, mais transformé l'ordre créé tout entier : « Toute la création a été troublée par ta Passion ; toutes les créatures ont souffert avec toi, ô Verbe de Dieu, connaissant que tu tiens toutes choses dans ta main. »

Cette affirmation remarquable n'est pas isolée. Les « Éloges » reviennent souvent sur le thème de cette souffrance solidaire et embrassant tout : « Bien que tu fus enfermé dans l’étroitesse du tombeau, ô Jésus, toute la création te reconnaît comme le Roi du ciel et de la terre. / De frayeur toute la terre tremble, ô Verbe de Dieu, l’univers est secoué de terreur et les astres de lumière cachent leurs rayons quand s’incline vers la terre ton éclat divin. / Autrefois c’est en cachette que les Juifs ont immolé l’agneau pascal ; à présent c’est en plein jour que tu es immolé, ô Sauveur qui purifies toute la création. / Ô rivières et fontaines, grêle, neige, brume et tout l’univers, arrosez de vos ondées le deuil de notre Dieu, unissant vos pleurs aux larmes de sa Mère. / Serviteur fidèle de ta majesté, en ténèbre le soleil s’est changé, et prenant le deuil la lune veut aussi se voiler de crêpe pour tes funérailles. / Vienne ici toute la création afin de présenter au Créateur l’hommage ultime de ses serviteurs ! »

 

Toute la terre porte avec nous, les humains, le deuil du Christ mort et déposé dans le tombeau ; à un même degré, toute la terre est élevée à une vie nouvelle en même temps que nous, les humains, par la résurrection du Sauveur. Le salut pascal s'étend au-delà du domaine de l'humain à toute la nature, aux animaux, aux arbres, aux collines et aux vallées, au soleil et à la lune, à la totalité de la création matérielle.

Fidèle à cette compréhension globale de l'œuvre rédemptrice du Christ, le starets Silouane croit que notre salut personnel est pleinement relié au salut du monde entier. Le commandement « aimez tout » signifie que nous devons aimer la création tout entière : les hommes d'abord, mais aussi les animaux, les plantes et chaque élément de la nature. Notre amour doit être un « amour sans limites », pour emprunter le titre d'un livre du Père Lev Gillet[24]. Comme le dit le Père Sophrony, « tournés vers le Dieu unique, les saints voient en lui le monde entier[25]. » Nous devons ressentir de « la compassion pour tout l'univers et pour chaque créature vivante, un amour pour chacune des créatures de Dieu » (342), écrit saint Silouane. « Pleurez pour tous », signifie que « vous verserez d’abondantes larmes pour votre prochain, pour tout ce qui respire et pour toute créature » (386). « Lorsque c’est du Seigneur que l’âme apprend l’amour, elle a compassion pour tout l’univers, pour toute créature de Dieu » (400) Lorsqu'elle porte le deuil de l'abandon de la grâce de Dieu, elle en appelle à toute la création pour se lamenter avec elle : « Lamentez-vous avec moi, oiseaux et animaux sauvages. Pleurez avec moi, forêts et déserts. Pleure avec moi, toute la création de Dieu et console-moi dans ma peine et ma tristesse » (334).

 

Dans les écrits de saint Silouane sur les liens qui nous unissent, nous les humains, au reste de la création, trois points me paraissent particulièrement intéressants :

 

1) Le starets souligne la valeur spirituelle du corps humain. Tout en adoptant une attitude négative à l'égard des passions, il se montre fondamentalement positif dans son appréciation de la condition humaine dans sa dimension physique. Nous devons haïr non pas notre corps en tant que tel, mais l'état de péché et les passions qui le corrompent. Dans son état de chute actuel, le corps peut apparaître comme notre adversaire, mais dans sa condition vraie et naturelle, tel qu'il a été créé à l'origine par Dieu, il est notre secours et notre ami. Dieu nous appelle à une sanctification totale : « Cette lumière du Seigneur sera dans l’âme, dans l’intelligence et dans le corps des saints » (272). « Le Saint-Esprit remplit l’homme tout entier : l’âme, l’intelligence et le corps » (324).

En avançant sur la voie spirituelle, une personne devient « sensible », elle ressent la grâce du Saint-Esprit dans son corps comme dans son âme ; la neuvième des dix « récompenses » que le moine reçoit de Dieu « même ici sur terre » est qu'il « ressent la grâce de Dieu même dans son corps » (447). « L'homme qui porte la grâce dans le corps et dans l’âme a atteint l'amour parfait » (337).

« L'amour parfait », alors, mène à la transfiguration du corps : « Le quatrième degré — l’amour parfait pour Dieu — c’est d’avoir la grâce du Saint-Esprit dans l’âme et dans le corps. Même le corps d’un tel homme est sanctifié et, après sa mort, il se transformera en reliques » (317).

Le starets tire de sa propre expérience un exemple de glorification corporelle : « Aux vêpres, durant un Carême au monastère du Vieux Rossikon, le Seigneur permit à un certain moine de voir le Père Abraham, un moine-prêtre de la règle stricte, à l'image du Christ. Le vieux confesseur, portant l'étole du prêtre, était là à entendre les confessions. Lorsque le moine entra dans le confessionnal, il vit que le visage à la barbe grisonnante du confesseur avait l'air d'un jeune garçon et tout son être irradiait de lumière et était à l'image du Christ » (403-404).

Le Père Sophrony s’exprime en termes similaires : « Dans la prière de repentir, les visages les plus banals, pour ainsi dire défigurés par le péché, sont éclairés par la Lumière, retrouvent leur jeunesse et deviennent beaux à voir[26]. »

En ce sens, la théologie de la personne humaine chez saint Silouane est résolument « holistique ». La grâce divine embrasse la personne totale, âme et corps ensemble ; le corps est déifié avec l'âme. Cela a une signification immédiate pour son attitude envers la création matérielle. C'est à travers notre corps que nous sommes reliés à notre environnement physique ; celui-ci nous traverse et devient partie de nous-mêmes à travers l'usage de nos cinq sens. Dès lors, si notre sanctification n'implique pas seulement notre âme, mais aussi notre nature physique, il s'ensuit qu'à travers notre corps nous pouvons expérimenter la sainteté du monde matériel ; plus encore, à travers notre corps, nous pouvons à notre tour transmettre la sainteté au monde matériel qui nous entoure. Notre corps est l'intermédiaire essentiel entre notre être intérieur et le monde de la nature ; parce que notre corps peut être rempli de grâce, il est clair que notre propre sanctification forme un seul et même mystère avec la rédemption de la création matérielle.

En tant que moine de la stricte observance athonite, saint Silouane avait été formé à une austère discipline physique. Mais il n'a jamais interprété ce renoncement ascétique à soi-même dans un sens dualiste. L'objectif du moine, comme le dit saint Jean Climaque, est précisément de devenir « un corps sanctifié[27] ». Il cherche la sanctification du corps, non sa destruction.

 

2) Saint Silouane a soigneusement pensé notre relation d’êtres humains avec les animaux. Rien de plus normal à cela. Dans sa jeunesse, il avait grandi dans une communauté rurale. La Sainte Montagne, qui devint son foyer monastique, abonde en créatures vivantes, en oiseaux, papillons, serpents, chacals et même (du moins au temps du starets) en loups et en ours, sans compter les animaux domestiques, chevaux et mulets que les monastères avaient l'habitude de garder en grand nombre avant l'arrivée du tracteur et de la jeep. Les animaux étaient donc ses compagnons de chaque jour.

Son attitude à leur égard est marquée par deux caractéristiques : la compassion aimante et le réalisme. Il montre à la fois de la gentillesse et du détachement. La compassion aimante lui inspire ces mots : « Un jour, j’ai tué sans nécessité une mouche ; blessée à mort, la malheureuse se traînait par terre. Trois jours de suite, j’ai pleuré à cause de ma cruauté envers une créature, et, encore maintenant, je me souviens de ce fait » (423). « Un jour que j’allais du Monastère au Vieux Rossikon, je vis sur le chemin un serpent coupé en morceaux ; chaque tronçon s’agitait encore convulsivement. Je fus saisi de pitié pour toute créature, pour chaque être qui souffre, et je pleurai longuement devant Dieu » (423).

Parallèlement, le starets nous presse de ne pas nous attacher inutilement aux animaux et de ne pas leur accorder l'amour que nous devrions plutôt porter à Dieu et à nos compagnons humains : « Donner de la nourriture aux animaux et au bétail, ne pas les battre, c’est en cela que consiste la bonté de l’homme à leur égard ; mais s’attacher à eux, les aimer, les regarder et parler avec eux, c’est le fait d’une âme déraisonnable » (424). « J’ai enlevé ce passage de la première édition anglaise, m’a dit un jour le Père Sophrony. Je sais que les Anglais ne seront jamais capables de comprendre cela. »

Par ailleurs, saint Silouane ne suggère jamais que la consommation de viande est un péché. En tant que moine athonite, il ne mangeait pas de viande, mais il y a de nombreux jours dans l'année où la consommation de poisson est autorisée par la règle monastique. Il y eut même un temps, nous raconte le starets, où il a dû se battre contre un désir quasi obsessionnel de manger du poisson (424-425). Si le moine s'abstient de manger de la viande, c'est pour des raisons ascétiques et de discipline, non parce que c’est en soi un péché. En effet, l’Église orthodoxe n'a jamais préconisé le végétarisme comme un principe général.

La compassion de saint Silouane pour la souffrance des animaux ne lui a pas fait perdre de vue la vérité que Dieu nous a donné ce monde, à nous humains, pour notre usage. L'homme, dit-il, est « une créature sublime » (343). Comme le dit le Père Sophrony, « le monde entier a été créé pour l'homme[28] ». Bien entendu, cela ne saurait en aucun cas justifier une exploitation cruelle et égoïste de notre environnement naturel. Au contraire, dans notre jouissance du monde, nous devons montrer l’humilité et la sensibilité la plus grande. En effet, si Dieu a dit à l’homme de « régner sur les animaux » (Gn 1,28), cette domination n'est pas synonyme de tyrannie.

 

3) L'amour plein de compassion de saint Silouane s'étendait — au-delà des animaux — aux plantes : « Attendez, pour malmener la terre et la mer et les arbres... » (Ap 7,3). Un jour, alors qu'ils marchaient ensemble, le Père Sophrony frappa de sa canne une touffe de hautes herbes sauvages. Le starets ne dit rien, mais il hocha la tête avec étonnement ; le Père Sophrony se sentit immédiatement rempli de honte (90). Saint Silouane écrit : « Sur l’arbre, tu as vu une feuille verte, et, sans nécessité, tu l’as arrachée. Certes, ce n’est pas un péché, mais tout de même mon cœur s’attriste. Le cœur qui aime a compassion pour toute créature » (343).

« L’Esprit de Dieu apprend à l’âme à aimer tout ce qui vit, au point qu’elle ne veut pas faire de mal, même à une feuille verte sur un arbre, et qu’elle voudrait ne pas écraser une fleur des champs. Ainsi l’Esprit de Dieu nous apprend l’amour pour tout ce qui existe, et l’âme a compassion pour tout être » (423).

Cette compassion cosmique, ce sens de la responsabilité humaine envers toute la création, fait du starets véritablement un saint pour notre temps, vivant comme nous à une époque de pollution globale. Ses mots, écrits il y a plus d'un demi-siècle, sont marqués d'une intuition prophétique. À juste titre, le Patriarcat œcuménique de Constantinople, dans sa Déclaration sur l'Orthodoxie et la crise écologique[29], publiée en 1990, inclut saint Silouane l'Athonite parmi les témoins qu’il cite aux côtés du prophète Isaïe, de saint Isaac le Syrien et de Dostoïevski.

 

Il y a toutefois une tension, un paradoxe même, dans l'attitude de saint Silouane à l'égard de l'ordre créé. D’une part, il nous presse « d'aimer toutes les choses créées » et souligne la beauté de la nature : « Depuis mon enfance, j’aimais le monde et sa beauté. J’aimais les arbres et les jardins verdoyants, j’aimais les plaines et toute la belle création de Dieu. J’aimais regarder la clarté des nuages, les voir passer dans les hauteurs azurées » (269). Si nous perdons notre capacité de nous émerveiller devant la beauté de la nature, estime le starets, cela veut dire que nous avons en même temps perdu notre sens de la grâce de Dieu (92). D’autre part, le starets continue de penser que le véritable moine « oublie le monde » (446). Ainsi, il écrit : « Depuis que j’ai connu mon Seigneur et qu’il a captivé mon âme, tout a changé en moi. Je ne veux plus regarder ce monde » (269). « Mon âme ne veut plus voir ce monde. Je l’aime pourtant... » (348). « Mais mon âme t’a aimé et ne veut plus regarder ce monde, malgré sa splendeur » (267).

 

Tel est l’ordre des priorités de saint Silouane. Quelle que soit la valeur que nous attachions à la beauté de la création, nous devrions ressentir un amour incomparablement plus grand pour Dieu le Créateur.

Pour saint Silouane, il n'y a donc qu'un seul et indivisible mystère du salut, à la fois personnel, universellement humain et cosmique. Toute chose, comme l'océan, coule et entre en contact avec tout. Ainsi que le dit le Père Sophrony, l’essence profonde de la vie spirituelle, le présupposé de toute connaissance spirituelle, c’est qu’elle est « existence en communion[30] ». Pour saint Silouane comme pour le Père Sophrony, il ne peut y avoir de dissociation entre notre salut personnel et le salut du monde. Les deux forment une unité. Notre propre salut est nécessairement lié au salut de chaque être humain, car « notre frère est notre vie ». En même temps, la transfiguration de l'homme inaugure celle du cosmos. Ce n'est pas sans raison qu’à la dernière page du livre du Père Sophrony sur le starets Silouane, nous trouvons une prière qui a une portée universelle (449) :

« Ô Seigneur, répands ton amour sur le monde tout entier. »



[1]              Texte traduit par Maxime et Lucie Egger.

[2]              Utilisé pour exprimer le mouvement perpétuel d’amour qui unit les trois personnes de la Sainte Trinité, ce mot signifie interpénétration, réciprocité, flux de vie (NdT).

[3]              Les Frères Karamazov / Fiodor Dostoïevski. – [Livre 6, chapitre 3].

[4]              Toutes les paginations indiquées par un chiffre entre parenthèses renvoient à Starets Silouane : Moine du Mont-Athos 1866-1938 : Vie, Doctrine, Écrits / Archimandrite Sophrony ; traduit du russe par le hiéromoine Syméon. – Nouveau tirage. – Paris : Éditions Présence, 1996. – (Le soleil dans le cœur ; 5).

[5]              Œuvres spirituelles / Isaac le Syrien ; traduction et notes de Jacques Touraille. – Paris : Desclée de Brouwer, 1981. – (Théophanie ; – [P. 395].

[6]              L’arminianisme est un courant théologique qui se développa au XVIIe siècle au sein du protestantisme réformé. Son nom provient d’Hermann Armenzoon, dit Jacobus Armenius (1560-1609), qui fut nommé pasteur d’Amsterdam en 1588 et professeur à Leyde en 1603. Armenius tenta d’atténuer les conceptions calvinistes concernant la prédestination. Les controverses suscitées par sa pensée se développèrent surtout après sa mort. Les arminiens furent souvent des membres de la bourgeoisie urbaine. Ils comptent parmi les premiers apôtres de la tolérance (NdT, d’après l’Encyclopedia Universalis).

[7]              Fondateur du méthodisme (NdT).

[8]              Riding with the Lion : In Search of Mystical Christianity / Kyriakos C. Markides. – London : Penguin Arkana, 1966. – [P. 294].

[9]              Théologie mystique de l'Église d'Orient / Vladimir Lossky. – Paris : Aubier-Éditions Montaigne, 1944. – [P. 232]. (Les Religions, 13)

[10]             Isaac le Syrien, op. cit., p. 415.

[11]             D’ailleurs, Origène lui-même était-il « origéniste » au sens défini par le Concile de 553 ?

[12]             Lettre 569. – In : Correspondance / Barsanuphe et Jean de Gaza ; recueil complet traduit du grec par Lucien Régnault et Philippe Lemaire ou du géorgien par Bernard Outtier. – Solesmes : Abbaye Saint-Pierre, 1971. – [P. 369].

[13]             C’est l’opinion du premier éditeur de Barsanuphe, saint Nicodème l’Hagiorite.

[14]             De la pénitence, XI. – In : Traités spirituels et théologiques / Marc le Moine ; traduits par ***. – Bégrolles en Mauges : Abbaye de Bellefontaine, 1985. – (Spiritualité orientale ; 41). – [P. 83].

[15]             Triode de Carême / trad.uction par le Père Denis Guillaume. – Rome : Collège grec de Rome, 1978. – [T.1., p. 152].

[16]             Sa vie est la mienne / Archimandrite Sophrony. – Paris : Cerf, 1981. – [P. 79].

[17]             Homélie 5. – In : La Prière du Seigneur / Grégoire de Nysse. – Paris : Desclée de Brouwer, 1982. – [P. 92].

[18]             Sa vie est la mienne, p. 70.

[19]             Voir Dieu tel qu’Il est / Archimandrite Sophrony. – Genève : Labor et Fides, 1984. – [P. 149].

[20]             Ibid., p. 184.

[21]             De vie et d’esprit / Archimandrite Sophrony. – Lausanne : Éditions Le Sel de la Terre, 1992. – [P. 18].

[22]             Ibid., pp. 19-20.

[23]             Cet office est généralement célébré le soir du Vendredi saint. Pour le texte intégral des prières, voir : Triode de Carême / traduction par le Père Denis Guillaume, Rome : Collège grec de Rome, 1978. – [T.3., pp. 310-320].

[24]             Amour sans limites / Un Moine de l’Église d’Orient. – Chevetogne : Éditions de Chevetogne, 1971.

[25]             Voir Dieu tel qu’Il est, p. 166.

[26]             Ibid., p. 134.

[27]             L’Échelle sainte / Jean Climaque ; traduit. – Bégrolles en Mauges : Abbaye de Bellefontaine, 1987. – (Spiritualité orientale ; 24).

[28]             Sa vie est la mienne, p. 82.

[29]             Orthodoxy and the ecological crisis, en collaboration avec le WWF, 1990, p. 7.***

[30]             Voir Dieu tel qu’Il est, p. 151.